"L'Instrumentum Laboris présente une Église accueillant tous, sans annuler les différences"
Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican
Une soixantaine de pages avec à l'intérieur l'expérience des Églises dans toutes les régions du monde qui connaissent des guerres, des changements climatiques, des systèmes économiques qui produisent «de l'exploitation, de l'inégalité et du “gaspillage”». Des Églises dont les fidèles souffrent le martyre, dans des pays où elles sont minoritaires ou doivent faire face à «une sécularisation de plus en plus poussée et parfois agressive». Les Églises blessées par des abus «sexuels, de pouvoir et de conscience, économiques et institutionnels», des blessures qui nécessitent des réponses et une «conversion». Des Églises qui relèvent les défis, sans crainte et sans chercher à les «résoudre à tout prix», en s'engageant dans un discernement synodal: «C'est seulement ainsi que les tensions peuvent devenir des sources d'énergie et ne pas tomber dans des polarisations destructrices».
Ouvrir des horizons d’espérance
Aujourd'hui, 20 juin, a été publié l'Instrumentum laboris, le document qui servira de base au travail des participants au Synode sur la synodalité prévu en octobre 2023 au Vatican et qui se poursuivra jusqu'en 2024. Point de départ et certainement pas point d'arrivée, le document rassemble l'expérience des diocèses du monde entier au cours des deux dernières années, à partir du 10 octobre 2021, date à laquelle François a lancé un voyage pour comprendre quelles mesures prendre «pour grandir en tant qu'Église synodale».
Il s'agit donc d'un document de discernement «pendant» l'Assemblée générale, mais en même temps de préparation «en vue» de l'Assemblée pour les participants et les groupes synodaux: «Le but du processus synodal, précise-t-il, n'est pas de produire des documents, mais d'ouvrir des horizons d'espérance».
L'Instrumentum Laboris - présenté ce mardi à la Salle de presse du Vatican - est composé d'un texte et de quinze fiches de travail qui mettent en évidence une vision dynamique du concept même de «synodalité». Plus en détail, il y a deux «macro-sections»: la section A, dans laquelle l'expérience de ces deux années et le chemin à suivre pour devenir une Église de plus en plus synodale sont mis en évidence; la section B - intitulée Communion, Mission, Participation - qui met en évidence les «trois questions prioritaires», au cœur du travail d'octobre 2023, liées aux trois thèmes principaux: croître dans la communion en accueillant tout le monde, sans exclure personne; reconnaître et valoriser la contribution de chaque personne baptisée en vue de la mission; identifier les structures et dynamiques de gouvernance par lesquelles articuler la participation et l'autorité au fil du temps dans une Église synodale missionnaire.
Une Église en renouvellement
C'est dans ce contexte que s'inscrit «le désir d'une Église de plus en plus synodale, y compris dans ses institutions, ses structures et ses procédures». Une Église synodale qui soit avant tout une «Église de l'écoute» et qui, par conséquent, «désire être humble et sait qu'elle doit demander pardon et qu'elle a beaucoup à apprendre». «Le visage de l'Église aujourd'hui porte les signes de graves crises de confiance et de crédibilité», peut-on lire dans l'Instrumentum laboris. «Dans de nombreux contextes, les crises liées aux abus sexuels, économiques, de pouvoir et de conscience ont poussé l'Église à un examen de conscience exigeant afin que, sous l'action de l'Esprit Saint, elle ne cesse de se renouveler, dans un chemin de repentance et de conversion qui ouvre des voies de réconciliation, de guérison et de justice.»
Une Église synodale est aussi «une Église de rencontre et de dialogue» avec les croyants d'autres religions, d'autres cultures et d'autres sociétés. C'est une Église qui «n'a pas peur de la variété» mais qui «la valorise sans la contraindre à l'uniformité». Synodale est donc l'Église qui se nourrit sans cesse du mystère qu'elle célèbre dans la liturgie, au cours de laquelle elle «expérimente chaque jour l'unité radicale dans la même prière», mais dans la «diversité» des langues et des rites.
D'autres passages significatifs concernent la question de l'autorité («Est-elle placée dans la ligne des paramètres mondains ou dans celle du service ?», est l'une des questions); la nécessité d'une «formation intégrale, initiale et permanente» pour le Peuple de Dieu ; l'«effort» pour le renouvellement du langage utilisé dans la liturgie, la prédication, la catéchèse, l'art sacré, ainsi que dans toutes les formes de communication avec les fidèles et l'opinion publique, y compris à travers les nouveaux et les anciens médias. «Le renouvellement du langage, précise le texte, doit viser à les rendre accessibles et attrayants pour les hommes et les femmes de notre temps, sans représenter un obstacle qui les en éloigne».
VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD
(Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud)
[31 janvier - 5 février 2023]
RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES
CONSACRÉES, ET LES SÉMINARISTES
DISCOURS DU SAINT-PÈRE
Cathédrale de Sainte-Thérèse (Djouba)
Samedi 4 février 2023
Chers frères Évêques, prêtres et diacres,
chers consacrés, chers séminaristes, chers novices et aspirants, bonjour à tous !
Depuis longtemps, je nourri le désir de vous rencontrer ; c’est pourquoi je voudrais remercier le Seigneur aujourd’hui. J’exprime ma gratitude à Mgr Tombe Trille pour ses salutations et à vous tous pour vos salutations et votre présence ; certains d’entre vous ont fait des jours de voyage pour être ici aujourd’hui ! Je porte toujours gravés dans mon cœur des moments vécus avant cette visite : la célébration à Saint-Pierre en 2017, au cours de laquelle nous avons élevé une supplique à Dieu pour le don de la paix ; et la retraite spirituelle en 2019 avec les Leaders politiques, invités pour que, par la prière, ils prennent à cœur la ferme décision de poursuivre la réconciliation et la fraternité dans le pays. Nous avons besoin avant tout de cela: accueillir Jésus, notre paix et notre espérance.
Dans mon discours d’hier, je me suis inspiré du cours des eaux du Nil qui traverse votre pays comme s’il était sa colonne vertébrale. Dans la Bible, à l’eau sont souvent associées l’action du Dieu créateur, la compassion avec laquelle il étanche notre soif lorsque nous errons dans le désert, la miséricorde avec laquelle il nous purifie lorsque nous tombons dans les marécages du péché. Dans le baptême, Il nous a sanctifiés avec une eau qui nous « a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 3, 5). C’est précisément dans une perspective biblique que je voudrais regarder à nouveau les eaux du Nil. D’une part, dans le lit de ce cours d’eau, les larmes d’un peuple plongé dans la souffrance et la douleur, martyrisé par la violence se déversent ; un peuple qui peut prier comme le psalmiste : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions » (Ps 137, 1). Les eaux du grand fleuve, en effet, recueillent les gémissements de souffrance de vos communautés, recueillent le cri de douleur de tant de vies brisées, recueillent le drame d’un peuple en fuite, l’affliction du cœur des femmes et la peur gravée dans les yeux des enfants. On peut voir la peur dans les yeux des enfants. Mais en même temps, les eaux du grand fleuve nous ramènent à l’histoire de Moïse et, par conséquent, elles sont un signe de délivrance et de salut : des eaux, en effet, Moïse a été sauvé et, en conduisant les siens à travers la Mer Rouge, il est devenu un instrument de libération, une icône du secours de Dieu qui voit l’affliction de ses enfants, entend leur cri et descend pour les libérer (cf. Ex 3, 7). En regardant l’histoire de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, demandons-nous que signifie être ministres de Dieu dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté. Comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent, alors que les visages des personnes qui nous sont confiées sont striés par les larmes de la souffrance ? Voilà la question. Et quand je parle de ministère, je le fais dans un sens large : ministère presbytéral, ministère diaconal et ministère catéchétique, d'enseignement, qu’accomplissent tant de consacrés et de laïcs.
Pour tenter de répondre, je voudrais m’arrêter sur deux attitudes de Moïse : la docilité et l’intercession. Je pense que ces deux choses touchent notre vie ici.
La première chose qui nous frappe dans l’histoire de Moïse est sa docilité à l’initiative de Dieu. Nous ne devons cependant pas penser qu’il en a toujours été ainsi : au début, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression. Sauvé par la fille du Pharaon des eaux du Nil, il se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de désert intérieur : il avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. Je me demande : quelle a été l’erreur de Moïse ? Penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces. Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de répondre à la violence par la violence.
Quelque chose de semblable se produit parfois dans notre vie de prêtres, de diacres, de religieux, de séminaristes, de consacrés, dans notre vie à tous : au plus profond, nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent ; ou, en tant qu’Église, que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir. Au contraire, notre œuvre vient de Dieu : Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains. Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans « la flamme d’un buisson en feu » (Ex 3, 2). Moïse se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (v. 3). Voilà la docilité nécessaire à notre ministère : s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité. Frères et sœurs, ne perdez pas l'émerveillement de la rencontre avec Dieu ! Ne perdez pas l'émerveillement du contact avec la Parole de Dieu. Moïse s'est laissé attirer et diriger par Dieu. La primauté n'est pas à nous, la primauté est à Dieu : nous confier à sa Parole avant d'utiliser nos propres mots, accueillir docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux.
Le fait de nous laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée. Devant le Bon Pasteur, nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux ; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs ; nous ne sommes pas une organisation mondaine qui administre des biens terrestres, mais nous sommes la communauté des enfants de Dieu. Frères et sœurs, faisons donc comme Moïse sous le regard de Dieu : enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière ; approchons-nous chaque jour du mystère de Dieu, pour qu'il nous émerveille, pour qu’Il brûle les broussailles de notre orgueil et de nos ambitions démesurées et fasse de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés.
Purifié et illuminé par le feu divin, Moïse devient un instrument de salut pour les siens qui souffrent ; la docilité envers Dieu le rend capable d’intercéder pour ses frères. Voilà la deuxième attitude dont je voudrais vous parler aujourd’hui : l’intercession. Moïse a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, qui ne reste pas indifférent au cri de son peuple et descend pour le délivrer. C'est magnifique : descendre. Dieu descend pour le libérer. Dieu, par condescendance envers nous, descend parmi nous au point de prendre notre chair en Jésus, de faire l’expérience de notre mort et de nos enfers. Il descend toujours pour nous relever et ceux qui le vivent sont amenés à l'imiter. C’est ainsi que fait Moïse, qui “descend” au milieu des siens : il le fera plusieurs fois au cours de la traversée du désert. En effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu. Frères et sœurs, intercéder, « ne signifie pas simplement “prier pour quelqu’un”, comme nous le pensons souvent. Étymologiquement, cela signifie “faire un pas au milieu”, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation » (C.M. Martini, Un grido di intercessione, Milan, 29 janvier 1991). Parfois, on n'obtient pas beaucoup, mais il faut le faire : un cri d'intercession. Intercéder, c’est donc descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu.
Il est demandé aux pasteurs de développer justement cet art de “marcher au milieu”. Ce doit être la spécialité des pasteurs, de marcher au milieu : au milieu de la souffrance, au milieu des larmes, au milieu de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée - n'importe quelle entreprise peut le faire -, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens. Nous ne devons jamais exercer le ministère en recherchant le prestige religieux et social, - que c'est laid de " faire carrière " -mais en marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs. Je voudrais ici répéter ce mot important : ensemble. Ne l’oublions pas : ensemble. Évêques et prêtres, prêtres et diacres, pasteurs et séminaristes, ministres ordonnés et religieux – toujours dans le respect de la merveilleuse spécificité de la vie religieuse : essayons de surmonter entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans. Il est bien triste que des pasteurs ne soient pas capables de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement ! Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres ?
Revenons à Moïse et, afin d’approfondir l’art de l’intercession, regardons ses mains. L’Écriture nous offre trois images à cet égard : Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel.
La première image, celle de Moïse avec le bâton à la main, nous montre qu’il intercède par la prophétie. Avec ce bâton, il accomplit des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir. Frères et sœurs, pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication, qui écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Si nous voulons être des pasteurs qui intercèdent, nous ne pouvons pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences, car là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ lui-même est offensé. J’ai été heureux d’entendre dans le témoignage du Père Luka que l’Eglise ne cesse d’exercer un ministère à la fois prophétique et pastoral. Merci ! Merci car, s’il y a une tentation dont nous devons nous prémunir, c’est bien celle de laisser les choses telles qu’elles sont et de ne pas nous intéresser aux situations par peur de perdre des privilèges et des commodités.
Deuxième image : Moïse avec les mains tendues. L’Écriture nous dit qu’il, « étendit les bras sur la mer » (Ex 14, 21). Ses mains tendues sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple Ses mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple. En effet, pour libérer du mal, la prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche. Caresser le troupeau de Dieu. Nous pouvons imaginer Moïse montrant le chemin et saisissant les mains des siens pour les encourager à avancer. Après quarante ans, devenu vieux, il reste proche des siens : voilà la proximité. Et cela n’a pas été une tâche facile : il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, parfois même capricieux, qui s’abandonnait aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, il a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme celui où il a dit au Seigneur : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? […] Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi » (Nb 11, 11.14). Regardez la prière de Moïse : il est épuisé. Pourtant, Moïse n’a pas reculé : toujours proche de Dieu, il ne s’est jamais éloigné des siens. Nous aussi, nous avons ce devoir : tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer. Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives.
Enfin – troisième image – les mains levées vers le ciel. Lorsque le peuple tombe dans le péché et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne – pensons à toute cette patience ! – et prononce une prière qui est une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire : « Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32, 31-32). Il se range du côté du peuple jusqu’au bout, élève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul, il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts ! Il intercède. Moïse intercède, Moïse lutte avec Dieu ; il garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés : tel est notre devoir d’intercesseurs !
Bien-aimés, ces mains prophétiques tendues et levées requièrent un effort, cela n’est pas facile. Être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple peut même coûter la vie. Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux – comme Sœur Regina nous l'a dit à propos de ses sœurs – ont été victimes de violences et d’attaques dans lesquelles ils ont perdu la vie. En réalité, ils ont offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent et qui nous invite à poursuivre leur chemin. Nous pouvons rappeler Saint Daniel Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres : il disait que le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique.
Je tiens donc à vous remercier pour ce que vous faites au milieu de tant d’épreuves et d’efforts. Merci, au nom de toute l’Église, pour votre dévouement, votre courage, vos sacrifices, votre patience. Merci ! Je vous souhaite, chers frères et sœurs, d’être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés seulement de la prière et de la charité ; pasteurs témoins, qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et deviennent des instruments de salut pour les autres ; pasteurs et prophètes de proximité qui accompagnent le peuple, des intercesseurs aux bras levés. Que la Sainte Vierge vous protège. En ce moment, pensons en silence à nos frères et sœurs qui ont donné leur vie dans ce ministère pastoral ici, et remercions le Seigneur de nous avoir été proches. Nous remercions le Seigneur pour leur proximité martyriale. Prions en silence.
Merci pour votre témoignage. Et si vous avez un peu de temps, priez pour moi. Merci.
Mardi matin, le 4 octobre, fête de Saint François d’Assise, une conférence de presse sur la première de La Lettre s’est tenue dans la Sala Stampa du Vatican. Le film raconte l’histoire des voyages de plusieurs acteurs de première ligne à Rome pour discuter de l’encyclique Laudato Si’ avec le pape François.
Lors de la conférence de presse, le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, le Dr. Hoesung Lee, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le Cacique Odair « Dadá » Borari, protagoniste du film et chef général du territoire indigène Maró, Pará, Brésil, le Dr. Lorna Gold, présidente du conseil d’administration du Mouvement Laudato Si’, et Nicolas Brown, scénariste et réalisateur de La Lettre, tous présentés par Matteo Bruni, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège.
Le Cardinal Michael Czerny a déclaré : « Le grand trésor de sagesse de Laudato Si doit être beaucoup plus profondément connu et effectivement mis en pratique », faisant référence au fait que, sept ans après le lancement de l’encyclique, son message n’est toujours pas connu et que la crise écologique de notre maison commune s’est aggravée de manière considérable.
Le cardinal a expliqué la signification du titre du film : « Notre Dicastère a envoyé une lettre aux protagonistes du film, les invitant à rencontrer le Saint-Père pour dialoguer avec lui. Ainsi, le film « La lettre » met en lumière le concept clé du dialogue. » Toutefois, il a ajouté : « Pour que ce dialogue soit authentique, toutes les voix doivent être entendues. »
« Ce film magnifique, une histoire à la fois déchirante et pleine d’espoir, est un cri d’alarme adressé aux gens du monde entier : réveillez-vous ! soyez responsables ! agissez ensemble ! agissez maintenant ! », a conclu M. Czerny.
Le président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Dr Hoesung Lee, a commencé par dire : « Aujourd’hui est un jour spécial pour l’alliance entre la science et la foi », car, en plus de célébrer la première de « La Lettre », « l’entrée officielle du Saint-Siège dans l’Accord de Paris sur le changement climatique entre en vigueur aujourd’hui. »
« L’humanité est à la croisée des chemins », a-t-il déclaré. « La communauté scientifique et la communauté religieuse sont toutes deux unanimes : la planète est en crise et ses mécanismes de survie sont en péril. Les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Puisse le monde recevoir cette « Lettre » avec un cœur et un esprit ouverts. »
De son côté, le réalisateur de La Lettre, Nicolas Brown, a remercié ses collègues et tous ceux qui ont participé au film, en particulier les quatre voix impliquées dans le film : « Ces voix sont en première ligne, et elles sont les plus expérimentées pour nous dire la réalité de ce qui se passe vis-à-vis de la crise climatique », d’un point de vue différent de celui de la communauté scientifique.
L’un des protagonistes du film a ensuite pris la parole, le Cacique Odair « Dadá » Borari : « Je suis ici une fois de plus pour parler au nom de la forêt et de la population autochtone. Nous ne voulons pas que la forêt amazonienne disparaisse, car la vie est en elle ». Le cacique a affirmé avoir subi les conséquences de la défense de l’Amazonie et a demandé aux présidents d’écouter ce message : « La forêt demande de l’aide, et pour la maintenir en vie, elle ne dépend pas seulement des peuples autochtones, mais de tous, en particulier du gouvernement. Unissons-nous pour la protéger. »
Interrogé sur ses attentes concernant les élections au Brésil, il a déclaré : « Nous espérons que le nouveau président pensera à l’Amazonie et à de nouvelles politiques pour le développement du Brésil. »
Représentant le Mouvement Laudato Si’ et en tant que participante au film, Lorna Gold a expliqué que « l’essence de ce film est de faire connaître ce livre merveilleux à de nouveaux publics », répondant ainsi à l’intention du pape François en écrivant Laudato Si’. » Cependant, nous savons que tout le monde ne l’a pas lue, alors comment les atteindre ? C’est ainsi que l’idée de réaliser un film documentaire nous est venue. »
» Lorsque nous avons demandé à Nicolas de nous aider à faire un film sur Laudato Si’, il a répondu : » Mais… il n’y a pas d’intrigue « . C’est pourquoi Gold a pensé au travail d’Off the Fence pour raconter cette histoire : « La seule façon de raconter l’histoire de Laudato Si’ est de se plonger à l’intérieur. C’est un film sur le dialogue entre diverses voix et sur la manière d’agir ensemble pour la maison commune. »
« Ce n’est pas une coïncidence si ce film sort le jour de la fête de saint François d’Assise. Le film appelle tout le monde à changer son cœur et c’est le message principal : nous devons développer la capacité de prendre soin les uns des autres. »
« Comment surmonter la « résistance » dans nos communautés pour porter le juste message de Laudato Si’ ? », a demandé un journaliste au panel. « Le Mouvement Laudato Si’ compte plus de 900 organisations comme alliées pour nous aider à porter le message », a répondu Lorna Gold. Et le Card. Czerny a ajouté : « La clé est la conversion du cœur, et j’ai beaucoup d’espoir à ce sujet. »
REGARDER : Le film complet aujourd’hui sur YouTube Originals
À propos de La Lettre : Le film, produit par les producteurs oscarisés Off the Fence (La Sagesse de la pieuvre), explore des questions telles que les droits des autochtones, la migration climatique et le leadership des jeunes dans le contexte de l’action sur le climat et la nature. Le point fort du film est le dialogue exclusif que les protagonistes ont avec le pape François.
Source: https://laudatosimovement.org/
Du 22 au 24 septembre, des spécialistes de l'économie, des entrepreneurs et des acteurs du changement venus de plus de 100 pays du monde entier se sont réunis à Assise pour l'événement L'économie de François.
L'événement du 20 septembre a représenté la première rencontre en personne de jeunes gens appelés par le pape François à donner une âme à l'économie. La réunion a vu des jeunes qui ont travaillé activement ces derniers mois, ainsi que de nouveaux jeunes, qui ont le désir de contribuer à une nouvelle saison de pensée et de pratique économique.
Le Pape François appelle les jeunes de l'Economie de Francesco à travailler pour la durabilité sociale, relationnelle et spirituelle, et à reconnaître le cri des pauvres et le cri de la planète.
DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS
Très chers jeunes, bonjour! Je vous salue, vous tous qui êtes venus, qui avez eu la possibilité d’être ici, mais je voudrais aussi saluer tous ceux qui n’ont pas pu arriver ici, qui sont restés à la maison: une pensée pour tous! Nous sommes unis, tous: eux d’où ils se trouvent, nous ici.
J’ai attendu ce moment pendant plus de trois ans, depuis que, le 1er mai 2019, je vous ai écrit la lettre qui vous a appelés et vous a ensuite amenés ici à Assise. Pour beaucoup d’entre vous — nous venons de l’entendre — la rencontre avec l’Economie de François a réveillé quelque chose que vous aviez déjà en vous. Vous étiez déjà engagés dans la création d’une nouvelle économie; cette lettre vous a réunis, vous a donné un horizon plus large, vous a fait sentir que vous faisiez partie d’une communauté mondiale de jeunes qui avaient une même vocation. Et quand un jeune voit dans un autre jeune son même appel, et que cette expérience se répète avec des centaines, des milliers d’autres jeunes, alors de grandes choses deviennent possibles, même l’espoir de changer un système énorme, un système complexe comme l’économie mondiale. En fait, aujourd’hui, parler d’économie semble presque démodé: on parle de finance, et la finance est quelque chose d’aqueux, quelque chose de gazeux, on ne peut pas la prendre. Un jour, une bonne économiste mondiale m’a dit qu’elle avait fait une expérience de rencontre entre l’économie, l’humanisme et la religion. Et cette rencontre s’est bien passée. Elle a voulu faire la même chose avec la finance et elle n’a pas réussi. Soyez attentifs à cette nature gazeuse des finances: vous devez reprendre l’activité économique à partir des racines, des racines humaines, comme elles ont été faites. Vous les jeunes, avec l’aide de Dieu, vous savez le faire, vous pouvez le faire; les jeunes ont fait beaucoup de choses d’autre fois au cours de l’histoire.
Vous vivez votre jeunesse à une époque difficile: la crise environnementale, puis la pandémie et à présent, la guerre en Ukraine et les autres guerres qui continuent depuis des années dans différents pays, marquent notre vie. Notre génération vous a légué beaucoup de richesses, mais nous n’avons pas su protéger la planète et nous ne protégeons pas la paix. Quand vous entendez qu’en un an, les pêcheurs de San Benedetto del Tronto ont sorti de la mer 12 tonnes de déchets et de plastique et de choses comme ça, vous voyez que nous ne savons pas protéger l’environnement. Par conséquent, nous ne protégeons pas non plus la paix. Vous êtes appelés à devenir artisans et bâtisseurs de la maison commune, une maison commune qui «est en ruine». Disons-le: c’est ainsi. Une nouvelle économie, inspirée par François d’Assise, peut et doit aujourd’hui être une économie amie de la terre, une économie de paix. Il s’agit de transformer une économie qui tue (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 53) en une économie de la vie, dans toutes ses dimensions. Aboutir à ce «bien vivre», qui n’est pas la dolce vita, ou bien avoir une vie agréable, non. Le «bien vivre» est cette mystique que les peuples aborigènes nous enseignent d’avoir en rapport avec la terre.
J’ai apprécié votre choix de modeler cette rencontre d’Assise sur la prophétie. J’ai aimé ce que vous avez dit sur les prophéties. La vie de François d’Assise, après sa conversion, a été une prophétie, qui continue également à notre époque. Dans la Bible, la prophétie a beaucoup à voir avec les jeunes. Quand Samuel fut appelé, c’était un enfant, Jérémie et Ezéchiel étaient jeunes; Daniel était un jeune garçon lorsqu’il prophétisa l’innocence de Suzanne et la sauva de la mort (cf. Dn 13, 45-50); et le prophète Joël annonce au peuple que Dieu répandra son Esprit et que «vos fils et vos filles prophétiseront» (3, 1). Selon les Ecritures, les jeunes sont porteurs d’un esprit de science et d’intelligence. C’est le jeune David qui a humilié l’arrogance du géant Goliath (cf. 1 Sam 17, 49-51). En effet, lorsque la communauté civile et les entreprises sont privées des capacités des jeunes, c’est toute la société qui se fane, la vie de tous qui s’éteint. Il manque la créativité, l’optimisme, l’enthousiasme, le courage de prendre des risques. Une société et une économie sans jeunes sont tristes, pessimistes, cyniques. Si vous voulez voir cela, allez dans les universités ultra-spécialisées en économie libérale, et regardez le visage des jeunes qui y étudient. Mais, grâce à Dieu, vous êtes là: non seulement vous serez là demain, vous êtes là aujourd’hui; vous n’êtes pas seulement le «pas encore», vous êtes aussi le «déjà», vous êtes le présent.
Une économie qui se laisse inspirer par la dimension prophétique s’exprime aujourd’hui dans une vision nouvelle de l’environnement et de la terre. Nous devons aller à cette harmonie avec l’environnement, avec la terre. Nombreuses sont les personnes, les entreprises et les institutions qui entreprennent une conversion écologique. Il faut aller de l’avant sur cette voie et faire plus. Ce «plus», vous le faites et vous le demandez à tout le monde. Il ne suffit pas de faire du maquillage, il faut remettre en cause le modèle de développement. La situation est telle que nous ne pouvons pas uniquement attendre le prochain sommet international, qui ne servira peut-être pas: la terre brûle aujourd’hui, et c’est aujourd’hui que nous devons changer, à tous les niveaux. Au cours de cette dernière année, vous avez travaillé sur l’économie des plantes, un thème innovateur. Vous avez vu que le paradigme végétal contient une approche différente de la terre et de l’environnement. Les plantes savent coopérer avec tout leur environnement, et même quand elles sont en compétition, en réalité, elles coopèrent pour le bien de l’écosystème. Apprenons de la douceur des plantes: leur humilité et leur silence peuvent nous offrir un style différent dont nous avons un besoin urgent. Parce que, si nous parlons de transition écologique mais que nous restons dans le paradigme économique du XXe siècle, qui a pillé les ressources naturelles et la terre, les manœuvres que nous allons adopter seront toujours insuffisantes ou malades dans leurs racines. La Bible est pleine d’arbres et de plantes, de l’arbre de vie au grain de sénevé. Et saint François nous aide avec sa fraternité cosmique avec toutes les créatures vivantes. Ces deux derniers siècles, nous, les hommes, avons grandi au détriment de la terre. C’est elle qui a payé l’addition! Nous l’avons souvent pillée pour augmenter notre bien-être, et pas même le bien-être de tout le monde, mais d’un petit groupe. Le temps est venu d’un nouveau courage pour abandonner les sources d’énergie fossiles, accélérer le développement de sources à impact zéro ou positif.
Nous devons également accepter le principe éthique universel — qui ne nous plaît pas — selon lequel les dommages doivent être réparés. Il s’agit là d’un principe éthique, universel: les dommages doivent être réparés. Si nous avons grandi en abusant de la planète et de l’atmosphère, aujourd’hui, nous devons apprendre à faire aussi des sacrifices dans des modes de vie qui ne sont pas toujours durables. Sinon, ce seront nos enfants et petits-enfants qui paieront l’addition, une addition qui sera trop élevée et trop injuste. J’ai entendu qu’un scientifique très important dans le monde disait, il y a six mois: «Hier, je suis devenu grand-père d’une petite-fille. Si nous continuons ainsi, la pauvre, dans trente ans, elle devra vivre dans un monde inhabitable». Ce seront les enfants et les petits-enfants qui paieront l’addition, une addition qui sera trop élevée et trop injuste. Un changement rapide et décisif est nécessaire. Je le dis sérieusement: je compte sur vous! S’il vous plaît, ne nous laissez pas tranquilles, donnez-nous l’exemple! Et je vous dis la vérité: pour vivre sur cette route, il faut du courage et parfois, il faut même un peu d’héroïsme. J’ai entendu, lors d’une rencontre, un jeune homme de 25 ans, qui venait de finir des études en tant qu’ingénieur de haut niveau et ne trouvait pas de travail; il en a finalement trouvé un dans une industrie mais il ne savait pas bien ce que c’était; quand il a pros connaissance de ce qu’il devait faire — sans travail, en mesure de travailler — il a refusé, parce qu’on fabriquait les armes. Ce sont les héros d’aujourd’hui.
De plus, la durabilité est un mot à plusieurs dimensions. Outre la dimension environnementale, il y a aussi les dimensions sociale, relationnelle et spirituelle. La dimension sociale commence lentement à être reconnue: nous nous rendons compte que le cri des pauvres et le cri de la terre sont le même cri (cf. Enc. Laudato si’, n. 49). Par conséquent, lorsque nous travaillons à la transformation écologique, nous devons tenir compte des effets que certains choix environnementaux ont sur la pauvreté. Toutes les solutions environnementales n’ont pas les mêmes effets sur les pauvres, et il faut donc préférer celles qui réduisent la misère et les inégalités. En essayant de sauver la planète, nous ne pouvons pas négliger l’homme et la femme qui souffrent. La pollution qui tue n’est pas seulement celle du dioxyde de carbone, l’inégalité aussi pollue mortellement notre planète. Nous ne pouvons permettre que les nouvelles catastrophes environnementales effacent de l’opinion publique les catastrophes anciennes et toujours actuelles de l’injustice sociale, et également des injustices politiques. Pensons, par exemple, à une injustice politique; le pauvre peuple maltraité des Rohingyas qui erre d’un côté à l’autre parce qu’il ne peut pas habiter dans sa patrie: une injustice politique.
Il y a aussi une indurabilité de nos relations: dans de nombreux pays, les relations des personnes s’appauvrissent. En Occident notamment, les communautés deviennent toujours plus fragiles et fragmentées. Dans certaines régions du monde, la famille souffre d’une grave crise, et avec elle l’accueil et la sauvegarde de la vie. Le consumérisme actuel cherche à combler le vide des rapports humains avec des marchandises toujours plus sophistiquées — les solitudes sont une grande affaire de notre temps! —, mais il engendre ainsi une famine de bonheur. Et c’est une mauvaise chose. Pensez à l’hiver démographique, par exemple, comment il est en relation avec tout cela. L’hiver démographique où tous les pays sont en train de diminuer fortement, parce qu’ils ne font pas d’enfants, mais il compte plus d’avoir une relation affective avec des chiens, avec des chats et de continuer ainsi. Il faut recommencer à procréer. Mais même dans cette ligne de l’hiver démographique, il y a l’esclavage de la femme: une femme qui ne peut pas être mère parce que dès que son ventre s’arrondit, on la licencie; les femmes enceintes ne sont pas toujours autorisées à travailler.
Il y a enfin une indurabilité spirituelle de notre capitalisme. L’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, avant d’être un chercheur de biens, est un chercheur de sens. Nous sommes tous des chercheurs de sens. C’est pourquoi le premier capital de toute société est le capital spirituel, parce que c’est celui qui nous donne les raisons de nous lever tous les jours et d’aller au travail, et il engendre la joie de vivre nécessaire aussi à l’économie. Notre monde consomme rapidement cette forme essentielle de capital accumulé au fil des siècles par les religions, les traditions sapientielles, la piété populaire. Et ainsi, les jeunes surtout, souffrent de ce manque de sens: souvent, face à la douleur et aux incertitudes de la vie, ils se retrouvent avec une âme appauvrie de ressources spirituelles pour élaborer souffrances, frustrations, déceptions et deuils. Regardez le taux de suicide chez les jeunes comme il a augmenté: et on ne les publie pas tous, on cache le chiffre. La fragilité de nombreux jeunes vient de la carence de ce précieux capital spirituel — je pose la question: avez-vous un capital spirituel? Que chacun réponde intérieurement — un capital invisible mais plus réel que les capitaux financiers ou technologiques. Il y a un besoin urgent de reconstituer ce patrimoine spirituel essentiel. La technique peut faire beaucoup; elle nous apprend le «quoi» et le «comment» faire: mais elle ne nous dit pas le «pourquoi»; et ainsi nos actions deviennent stériles et ne remplissent pas la vie, pas même la vie économique.
Etant dans la ville de François, je ne peux m’empêcher de m’arrêter sur la pauvreté. Faire de l’économie en s’inspirant de lui, signifie s’engager à placer les pauvres au centre. A partir d’eux, regarder l’économie, à partir d’eux regarder le monde. Sans l’estime, le soin, l’amour pour les pauvres, pour toute personne pauvre, pour toute personne fragile et vulnérable, de l’enfant conçu dans le ventre maternel à la personne malade et handicapée, à la personne âgée en difficulté, il n’y a pas d’«Economie de François». Je dirais plus: une économie de François ne peut se limiter à travailler pour ou avec les pauvres. Tant que notre système produira des déchets et que nous fonctionnerons selon ce système, nous serons complices d’une économie qui tue. Demandons-nous alors: faisons-nous assez pour changer cette économie, ou bien nous contentons-nous de repeindre un mur en changeant de couleur, sans changer la structure de la maison? Il ne s’agit pas de passer de la peinture, non, il faut changer la structure. La réponse n’est peut-être pas combien pouvons-nous faire, mais comment pouvons-nous ouvrir de nouvelles voies pour que les pauvres eux-mêmes puissent devenir les protagonistes du changement. Dans ce sens, il y a des expériences très importantes, très développées, en Inde et aux Philippines.
Saint François a aimé non seulement les pauvres, il a aussi aimé la pauvreté. Disons cette façon de vivre austère. François allait voir les lépreux, pas tant pour les aider, il allait parce qu’il voulait devenir pauvre comme eux. En suivant Jésus Christ, il se dépouilla de tout pour être pauvre avec les pauvres. Eh bien, la première économie de marché est née au XIIIe siècle en Europe au contact quotidien des frères franciscains, qui étaient amis de ces premiers marchands. Cette économie créait de la richesse, certes, mais elle ne méprisait pas la pauvreté. Créer de la richesse sans mépriser la pauvreté. Notre capitalisme, en revanche, veut aider les pauvres mais ne les estime pas, ne comprend pas la béatitude paradoxale: «Heureux les pauvres» (cf. Lc 6, 20). Nous ne devons pas aimer la misère, nous devons même la combattre, avant tout en créant du travail, du travail digne. Mais l’Evangile nous dit que sans estimer les pauvres, on ne peut combattre aucune misère. Et c’est en revanche de là que nous devons partir, vous aussi, entrepreneurs et économistes: en habitant ces paradoxes évangéliques de François. Quand je parle aux gens ou que je confesse, je demande toujours: «Faites-vous l’aumône aux pauvres?» — «Oui, oui, oui!» — «Et quand vous faites l’aumône au pauvre, le regardez-vous dans les yeux?» — «Euh, je ne sais pas...» — «Et quand tu donnes l’aumône, tu jettes la monnaie ou tu touches la main du pauvre?». Ils ne regardent pas les yeux et ne touchent pas; et cela signifie s’éloigner de l’esprit de pauvreté, s’éloigner de la réalité réelle des pauvres, s’éloigner de l’humanité que doit avoir tout rapport humain. Quelqu’un va me dire: «Pape François, on est en retard, quand est-ce que tu finis?»: Je finis maintenant.
Et à la lumière de cette réflexion, je voudrais vous laisser trois indications de chemin pour aller de l’avant.
La première est de regarder le monde avec les yeux des plus pauvres. Le mouvement franciscain a su inventer au moyen-âge les premières théories économiques et même les premières banques solidaires (les «Monts de piété»), parce qu’il regardait le monde avec les yeux des plus pauvres. Vous aussi, vous améliorerez l’économie si vous regardez les choses du point de vue des victimes et des exclus. Mais pour avoir les yeux des pauvres et des victimes, il faut les connaître, il faut être leurs amis. Et, croyez-moi, si vous devenez amis des pauvres, si vous partagez leur vie, vous partagerez aussi quelque chose du Royaume de Dieu, parce que Jésus a dit que le Royaume des cieux est à eux, et pour cela ils sont bienheureux (cf. Lc 6, 20). Et je le répète: que vos choix quotidiens ne produisent pas de rebuts.
La deuxième indication: vous êtes surtout des étudiants, des universitaires et des entrepreneurs, mais n’oubliez pas le travail, n’oubliez pas les travailleurs. Le travail des mains. Le travail est déjà le défi de notre temps, et il sera encore plus le défi de demain. Sans travail digne et bien rémunéré, les jeunes ne deviennent pas vraiment adultes, les inégalités augmentent. Parfois, on peut survivre sans travail, mais on ne vit pas bien. Alors, en créant des biens et des services, n’oubliez pas de créer du travail, du bon travail et du travail pour tous.
La troisième indication est: l’incarnation. Dans les moments cruciaux de l’histoire, ceux qui ont su laisser une bonne empreinte l’ont fait parce qu’ils ont traduit les idéaux, les désirs, les valeurs en œuvres concrètes. Il les a incarnés. En plus d’écrire et de faire des congrès, ces hommes et ces femmes ont créé des écoles et des universités, des banques, des syndicats, des coopératives, des institutions. Le monde de l’économie changera si vous utilisez vos mains en même temps que votre cœur et votre tête. Les trois langages. On pense: la tête, le langage de la pensée, mais pas seulement, uni au langage du sentiment, du cœur. Et pas seulement: uni au langage des mains. Et vous devez faire ce que vous ressentez et pensez, ressentir ce que vous faites et penser ce que vous ressentez et faites. C’est l’union des trois langages. Les idées sont nécessaires, elles nous attirent beaucoup surtout quand nous sommes jeunes, mais elles peuvent se transformer en pièges si elles ne deviennent pas «chair», c’est-à-dire concrétisation, engagement quotidien: les trois langages. Les idées seules tombent malades et nous finirons en orbite, si ce ne sont que des idées. Les idées sont nécessaires, mais elles doivent se faire «chair». L’Eglise a toujours rejeté la tentation gnostique — gnose, celle de l’idée seule —, qui pense changer le monde uniquement avec une connaissance différente, sans la fatigue de la chair. Les œuvres sont moins «lumineuses» que les grandes idées, car elles sont concrètes, particulières, limitées, avec des lumières et des ombres, mais elles fécondent jour après jour la terre: la réalité est supérieure à l’idée (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 233). Chers jeunes, la réalité est toujours supérieure à l’idée: soyez attentifs à cela.
Chers frères et sœurs, je vous remercie pour votre engagement: merci. Allez de l’avant, avec l’inspiration et l’intercession de saint François. Quant à moi — si vous êtes d’accord — je voudrais conclure par une prière. Je la lis et vous la suivez avec votre cœur:
Père, nous te demandons pardon pour avoir gravement blessé la terre, pour ne pas avoir respecté les cultures autochtones, pour ne pas avoir estimé et aimé les plus pauvres, pour avoir créé la richesse sans communion. Dieu vivant, qui, par ton Esprit, as inspiré le cœur, les bras et l’esprit de ces jeunes et qui les as fait partir vers une terre promise, regarde avec bienveillance leur générosité, leur amour, leur envie de dépenser leur vie pour un grand idéal. Bénis-les, Père, dans leurs entreprises, dans leurs études, dans leurs rêves; accompagne-les dans les difficultés et les souffrances, aide-les à les transformer en vertu et en sagesse. Appuis leurs désirs de bien et de vie, soutiens-les dans leurs déceptions face aux mauvais exemples, fais qu’ils ne se découragent pas et qu’ils continuent sur leur chemin. Toi, dont le Fils unique se fit charpentier, donne-leur la joie de transformer le monde avec l’amour, avec l’ingéniosité et avec les mains. Amen.
Et merci beaucoup.
Nouvelle équipe de direction générale 2021-2026 La pandémie de COVID-19 a mis le monde à l'arrêt. Les plans et les rassemblements soigneusement élaborés n'étaient plus possibles. Zoom et d'autres moyens de réseaux sociaux sont devenus une source majeure de communication. Ainsi, le Chapitre Général des Sœurs Franciscaines Missionnaires de l'Immaculée Conception, qui devait initialement se tenir à Assise en juillet 2021, a pris une toute autre tournure. Pendant plusieurs mois, nos équipes de direction se sont réunies via Zoom pour partager et traiter l'impact de la pandémie dans notre Institut. Ces réunions nous ont d'abord conduits à reporter les élections du Chapitre général, puis à mener les affaires du Chapitre général via Zoom. Les membres de notre nouvelle équipe de direction générale 2021-2026 sont de gauche à droite : |